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L’histoire de Jos Landry
Par Fabien Sinnett
Par un beau dimanche après-midi, nous allions comme à l’habitude marcher sur la plage Battery Park mon père et moi. En revenant, nous arrêtions souvent rendre visite à Jos Landry dans sa cabane (une ancienne cabane de pêcheur). Jos habitait seul dans sa cabane, été comme hiver. Il était célibataire et assez avancé en âge. Il avait décidé de s’établir en permanence sur cette plage. Je ne connaissais pas tellement de choses sur lui. Il nous disait cependant qu’il était né en 1870 à Caraquet, au Nouveau-Brunswick, et que sa famille avait déménagé à L’Anse-au-Griffon au début de 1900. Il semblait avoir beaucoup voyagé partout au pays. Mais comment était-il aboutit à Gaspé? Peut-être en venant travailler dans les scieries?
Sa cabane n’était pas tellement grande. Il y avait un petit lit dans un coin, un petit poêle au centre (style buck stove) et une très petite table. Il semblait être très heureux dans son environnement. J’aimais beaucoup l’odeur du tabac en feuilles qu’il fumait dans sa pipe. N’étant pas très loin, il venait souvent veiller chez nous pour jouer aux cartes avec un groupe de jeunesses, comme il était coutume en période crise économique.
Une nuit au début du mois de janvier, Jos arriva chez nous en panique, mentionnant que sa cabane était hantée depuis quelque temps par des mauvais esprits. Il disait entendre toutes sortes de bruits et sentir une présence près de lui la nuit. Le lendemain matin, mon père lui conseilla de retourner à sa cabane et que tout ça était probablement lié à son imagination. Cependant, la nuit suivante, il arriva de nouveau au beau milieu de la nuit. Cette fois-ci, avec un chapelet autour du cou disant qu’il était toujours hanté par des bruits étranges. Mon père l’invita alors à passer le reste de la nuit chez nous. Le lendemain matin, après en avoir discuté avec ma mère, mes parents décidèrent de l’inviter à passer l’hiver avec nous. Jos était très heureux d’apprendre cette bonne nouvelle. Ma mère l’installa alors dans la même chambre que mon frère Léonard.
Tout semblait bien aller jusqu’à une certaine nuit où Jos se leva en panique. Encore une fois, il mentionna que les mauvais esprits étaient encore avec lui. Il aspergea la chambre avec de l’eau bénite. Cette situation se répétait pendant plusieurs semaines, ce qui dérangeait beaucoup mon frère.
Mon père apprit qu’il y avait un père enseignant au séminaire qui pratiquait l’exorciste. Il est donc aller reconduire Jos au séminaire pour rencontrer cette personne. Cette séance semblait avoir été efficace, car par la suite, Jos dormit tout l’hiver sans être obsédé par ses démons.
Jos s’intégra très bien dans notre famille. Il aimait beaucoup jouer aux cartes le soir avec les jeunesses. Par contre, l’hiver était assez difficile pour mon père. Les revenus étaient très faibles et nous avions deux autres personnes à nourrir à la maison en plus de la famille (Jos Landry et Georges Fournier). Mais malgré notre pauvreté, nous passions tout de même du bon temps tous ensemble grâce à la générosité de mes parents.
J’avais toujours hâte au moment suivant le souper, lorsque ma mère libérait la table et que nous étions tous réunis dans la cuisine avec un bon feu de bois dans le poêle et la lumière basse de la lampe à l’huile qui était accrochée au mur. On se préparait tous pour une belle soirée animée. On attendait tous que Jos allume sa pipe avec son bon tabac en feuilles qui dégageait une odeur que tous trouvaient agréable. Jos commençait alors à nous raconter des contes. Il était un excellent conteur. Il alimentait souvent ses histoires avec une chanson canadienne ou parfois même en langue mi’gmaq. Il accompagnait le tout en jouant de l’harmonica en tapant du pied. Après le conte, Georges Fournier nous présentait ses trucs de magie. La partie de cartes pouvait ensuite débuter. Ma mère nous présentait son plat de galettes à la mélasse et mon père ouvrait sa vieille radio pour faire jouer de la musique (mais seulement durant un court moment afin de ménager les batteries, car celles-ci étaient très dispendieuses). Alors que la soirée avançait et qu’il se faisant tard pour un enfant de mon âge, ma mère m’envoyait me coucher.
À l’été 1941, Jos décida que le temps était venu pour lui de quitter la maison afin de déménager à l’hospice de Chandler. Mon frère Léonard et Roland Robinson (un voisin) allèrent alors le conduire par train jusqu’à l’endroit. Léonard est allé lui rendre visite en 1942. Jos Landry est finalement décédé à cet hospice le 3 février 1943, à l’âge de 73 ans. N’ayant aucun parent, la mère supérieure de l’hospice a fait une demande auprès de la municipalité de Gaspé afin de couvrir les frais funéraires pour un montant de 50,00 $. Le maire de Gaspé de l’époque (Charles T. Davis), accepta volontiers. Il avait très bien connu Jos Landry. C’est d’ailleurs lui qui nous avait avisé du décès de Jos.
J’ai toujours gardé un bon souvenir de ce personnage. Il était toujours de bonne humeur et généreux malgré sa vie difficile.
Fabien Sinnett