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L’histoire des deux bucherons
Par Fabien Sinnett
Un dimanche après-midi de janvier 1942, deux bûcherons venant de Mont-Louis arrivent à Gaspé pour travailler dans le camp de bûcherons de monsieur André Chrétien. Dès leur arrivée, une tempête de neige débuta. Ils décidèrent premièrement d’enregistrer leur cheval pour la nuit à l’écurie de l’Hôtel Baker. N’ayant pas les moyens de payer une chambre d’hôtel, l’un d’eux, Éloi Sinnett, s’informa s’il y avait des familles Sinnett dans les environs. À cette époque où l’argent était rare, la coutume voulait que lorsqu’on arrivait dans un village, on cherchait de la parenté afin de frapper à leur porte pour y passer la nuit.
Le responsable de l’écurie Baker leur suggère d’aller chez une famille de Sinnett qui demeure à côté du cinéma Plaza. Ils se dirigent alors tous les deux vers cette maison et cognèrent à la porte. Malheureusement, la famille semblait absente car il n’y avait pas de réponse. Ils retournèrent alors sur leurs pas et décident d’entrer à l’hôtel Baker. Ils s’informèrent auprès du préposé à l’accueil, Percy Lequesne, s’il y avait d’autres familles de Sinnett à Gaspé. Ce dernier leur suggéra d’aller chez le cordonnier du village, Michael Sinnett (mon père). Il demeurait juste en bas de la côte Robin, à côté de la centrale électrique. Arrivés sur les lieux, ils frappèrent à la porte. Un monsieur d’un certain âge ouvrit et les fit entrer en leur demandant s’il pouvait les aider. Éloi Sinnett s’identifia et lui demanda la possibilité d’avoir un endroit où dormir pour lui et son collègue. Monsieur Michael Sinnett accepta volontiers de les accueillir pour la nuit. La famille avait des chambres de libres car les deux fils aînés étaient partis à la guerre. Il était donc seul à la maison avec son épouse (ma mère) et son jeune fils de 9 ans, Fabien (moi-même). Le jeune garçon était assis à la table en train de faire des dessins lorsque les deux invités arrivèrent.
Madame Sinnett, qui venait de terminer une cuite de pain, mit la table pour le souper. Les bûcherons allaient pouvoir partager un bon repas avec la famille. Les deux convives étaient très heureux, car ils n’avaient rien mangé de la journée. Michael se dirigea vers l’armoire afin d’aller chercher une cruche de vin rouge. À l’intérieur de la cruche, il restait une petite quantité de vin du dernier Noël. Ce vin avait été commandé à la commission des liqueurs à Québec et monsieur Sinnett le servait uniquement aux occasions spéciales. Les deux bûcherons eurent droit à un bon verre de vin avant d’entamer leur repas. Juste avant de se mettre à table, Michael ouvrit sa radio afin d’écouter de la musique. Il ne l’utilisait pas très souvent afin d’économiser les batteries qui étaient très dispendieuses à cette époque. À la fin du repas, madame Sinnett alla préparer les lits pour les deux invités.
Le lendemain matin, la tempête était finalement terminée. Après un bon déjeuner, les deux bucherons quittèrent la maison en direction des chantiers. Ils remercièrent infiniment la famille pour leur chaleureux accueil. Jamais ils n’avaient été reçus de la sorte auparavant. Avant de partir, Éloi laissa au jeune Fabien une photo de lui avec son cheval en souvenir.
La suite de l’histoire, 38 ans plus tard
En janvier 1980, une dame de Gaspé devait se rendre à Mont-Louis pour assister à un congrès. Elle prit alors l’autobus pour s’y rendre et rejoindre les autres membres qui étaient déjà sur place. L’autobus arriva à Mont-Louis par une soirée de tempête de neige. La visibilité était presque nulle. Pensant être au bon endroit, elle fit arrêter l’autobus et débarqua sur le bord du chemin. Après quelques instants, elle réalisa finalement qu’elle n’était pas à la bonne destination. Trop tard, l’autobus était déjà parti. La tempête continuait de faire rage, au point où elle se sentait étouffée par le vent violent. Elle ne savait pas par où aller. Soudain, elle aperçut une lumière au loin sur la route. Elle décide alors d’aller vers cette lumière afin de trouver de l’aide. Elle arriva finalement à la maison, épuisée et complètement gelée. Elle frappa à la porte. Un vieux monsieur vint ouvrir et l’invita à entrer. L’homme et sa conjointe lui donnèrent un café chaud pour la réchauffer. Le couple l’invita à partager un repas avec eux et l’invitèrent à passer la nuit à la maison étant donné la tempête qui faisait rage à l’extérieur. Au souper, afin d’en connaitre un peu plus sur l’identité de ses bons samaritains, elle leur demanda leurs noms. Le vieux monsieur lui dit alors qu’il s’appelle Éloi Sinnett et qu’il a toujours demeuré à Mont-Louis. La dame rescapée s’identifia à son tour et leur dit qu’elle était de Gaspé. Elle mentionna également qu’il s’agissait d’une drôle de coïncidence, car elle travaillait au magasin Sinnett Décoration à Gaspé, magasin portant le même nom de famille que ses hôtes.
Surpris, Éloi Sinnett lui raconte alors une histoire qui lui est arrivée à Gaspé au début des années quarante, lorsque que, par un dimanche après-midi de tempête, lui et son compagnon bûcheron arrivèrent à Gaspé pour passer la nuit. Il lui parla alors de son séjour avec la famille de Michael Sinnett et de tous les bons souvenirs reliés à cette expérience.
La madame de Gaspé sursauta à l’écoute de cette histoire. Elle leur mentionna que son patron était en fait le jeune fils de ce couple, qui était à l’époque âgé de 9 ans. Quelle ne fût pas la surprise d’Éloi Sinnet lorsqu’il entendit cette histoire. Il n’avait jamais revu ce généreux couple et leur fils depuis cette soirée de 1942. Quelle incroyable coïncidence. Ce fut le sujet de conversation toute la soirée! Il était heureux d’avoir des nouvelles de cette famille. Cette histoire prouve que le monde est petit!
Fabien Sinnett